Chantal est contente, elle accompagne son mari
Ghislain à
l'Hôtel Drouot.
Sa passion a lui c'est d'assister à des ventes aux enchères. Il aime se trouver entouré par des nouveaux riches qui dilapident des sommes incroyables pour des objets inutiles. C'est son péché mignon. Il y va au moins une fois par semaine.
Mais aujourd'hui, c'est particulier.
Ghislain vend.
Il se débarrasse de la collection de bénitiers que sa grand-mère lui a
refourgué pour ses 40 ans.
Chantal ne veut pas manquer ça. Elle a dû supplier et promettre de se tenir tranquille pour qu'il accepte de l'emmener.
Faut dire que la dernière sortie de
Chantal dans une vente aux enchères reste un sujet tabou pour le couple.
***
C'était il y a quatre ans lors d'une vente hippique.
Pour l'occasion,
Chantal avait sortit sa belle robe avec des fleurs et un grand chapeau de paille.
Ghislain avait gardé sa vieille casquette bleue.
Assis à un petit guéridon recouvert d'une nappe blanche, au milieu de la vieille bourgeoisie,
Chantal était aux anges. Tandis qu'aux tables voisines, les habitués sirotaient du champagne dans des flûtes en cristal,
Chantal aspirait son
Perrier tranche avec une paille.
Pendant presque 2 heures ils avaient observé le défilé équestre et s'étaient extasiés sur les batailles financières. Les acheteurs se chamaillaient à coups de 10 000 € ou plus encore...
Parfois ils surenchérissaient jusqu'à 15 fois et atteignaient des sommes inimaginables pour
Chantal.
" - Mise à prix de cette belle pouliche : 220 000€."
300 000, 360 000, 400 000, 540 000, 600 000...
600 000€ une fois, 600 000€ deux fois, 600 000€ trois fois,
adjugé-vendu, coup de maillet, lumière sur la petite table, applaudissements, bouteille de champagne et tout le monde semblait content.
Ghislain était ravi. Il se laissait porter par l'euphorie ambiante et applaudissait à grands coups de paluches.
Chantal triturait son collier de perles en plastique. Elle se demandait quel effet ça pouvait faire de lever la main, juste pour sentir ce que ça devait être de claquer une fortune sur un simple hochement de tête...
La seule fois où elle avait pu lire des chiffres comme ceux annoncés ici, c'était sur le compteur de leur voiture...
Peu à peu elle s'était désintéressée des ventes pour se rêver multimillionnaire.
Sa robe venait de la Maison
Chanel, son collier étaient en perles naturelles, un chauffeur les attendait dans la limousine et elle buvait du champagne rosé.
Alors que
Chantal s'était abandonné à sa rêverie, un nouvel équidé avait été amené au centre de la piste.
250 000, 270 000, 300 000...
Chantal avait levé la main.
300 000€ à la table!
Chantal avait regardé
Ghislain avec un sourire de petite fille heureuse.
300 000€ une fois,
Chantal avait regardé le commissaire priseur et les gens autour d'elle. D'où allait venir la surenchère?
300 000€ deux fois,
Chantal avait regardé
Ghislain qui fronçait les sourcils.
300 000€ trois fois,
adjugé-vendu, coup de maillet, lumière sur la petite table, applaudissements, bouteille de champagne et tout le monde semblait content. Ou presque.
Le petit paradis de
Chantal avait éclaté comme frappé par une tapette à mouche.
Ici pas moyen de se rétracter, de faire une pirouette en disant "
pouce-je-joue-plus". Tout le monde les regardait.
Ghislain fixait sa femme avec un regard noir. Sans desserrer les dents il lui avait glissé
" - Putain
Chantal, t'es vraiment trop
conne..."
Et ils avaient bien dû le payer le canasson. Et repartir à pied avec...
Ghislain n'avait pas adressé la parole à
Chantal pendant un mois après ça. Pas tant qu'il n'avait pas réussi à la revendre cette maudite pouliche...
***
Depuis
Ghislain refuse que
Chantal l'accompagne dans les ventes. C'est redevenu son plaisir solitaire.
Mais
Chantal a tellement insisté cette
fois-ci, que
Ghislain a fini par céder.
Ils attendent donc leur tour dans la salle 14 de
l'Hôtel Drouot.
Chantal dans sa robe à fleurs et
Ghislain sous sa vieille casquette bleue.
La salle est bondée. Dans le fond, les spectateurs debout, sont tassés les uns contre les autres.
Depuis deux heures les enchères se succèdent.
Chantal fait profile bas et
Ghislain la surveille du coin de l'oeil.
" - Mise à prix d'une statuette égyptienne : 400€."
500, 800, 1 200, 1 800, 2 000, 2 400...
2 400€ une fois, 2 400€ deux fois, 2 400€ trois fois,
adjugé-vendu, coup de maillet, applaudissements, pas de lumière ni de bouteille de champagne ici mais un commis qui se fraye un chemin à toute vitesse jusqu'au nouvel heureux propriétaire.
Il relève son identité et lui donne un petit carton avec le numéro de son lot. Comme à la kermesse.
Leur tour.
Ghislain est anxieux.
" - Et maintenant une belle collection de 9 bénitiers. Mise à prix du premier bénitier : 1 200€."
1 800, 2 000, 2 300, 2 600, 3 000...
3 000€ une fois, 3 000€ deux fois, 3 000€ trois fois,
adjugé-vendu, coup de maillet, applaudissements et course du commis entre les mains battantes.
30 minutes plus tard il ne reste plus qu'un seul bénitier.
Ghislain s'est détendu. Il a calculé que la vente des 8 premiers bénitiers lui a déjà rapporté près de 30 000€...
" - Mise à prix pour le dernier bénitier : 950€. "
1 400, 2 800, 4 000, 4 500...
Ghislain n'en
espérait pas tant et les enchères continuent à monter...
5 100, 5 800, 7 000, 7 500...
Perdu dans son excitation
Ghislain à oublié
Chantal...
8 000, 12 000, 15 000, 17 000...
Chantal qui commence à triturer son collier de perles en plastique...
19 000, 22 000, 25 000, 28 000...
28 000€ une fois, 28 000€ deux fois, 28 000€ trois fois,
adjugé-vendu, coup de maillet, applaudissements et commis qui se faufile dans la foule.
Ghislain n'a pas vu qui a remporté la dernière enchère. Il veut serrer la main de celui qui lui permet de doubler son gain sur une seule vente. Il se tourne sur la droite et tombe sur la face de
Chantal.
Ghislain regarde
Chantal.
Chantal regarde ses pieds.
" - Putain
Chantal, mais t'es vraiment trop
conne..."